Certains petits évènements sont, parfois, révélateurs de grands revirements. Serait-ce le cas de la récente décision des autorités turques de remettre aux autorités égyptiennes Mohamed Abdelhafid Houssaine ?

Condamné à mort par contumace par un Tribunal du Caire, dans l’affaire du meurtre de l’ancien procureur général Hicham Barakat, cet Égyptien, de 29 ans, était l’un des fugitifs les plus recherchés par les services de son pays. Sa cavale s’est terminée à l’aéroport d’Istanbul où il est arrivé, le 16 janvier 2019, en provenance de Mogadiscio, muni de son passeport égyptien. Pourtant, il croyait atterrir dans un pays ami où il pouvait compter sur la longue liste de ses concitoyens et amis en Turquie, tous des «Frères musulmans» ayant fui l’Égypte d’al-Sissi à l’arrivée de ce président anti-islamiste en 2013. A sa grande surprise, Mohamed Abdelhafid Houssaine a été vite remis dans un avion en partance vers le Caire.

Officiellement, les Turcs affirment que le visa du jeune voyageur n’était pas valable. Un argument qui ne convainc pas certains de ceux qui connaissent bien le fond du dossier. «Si le visa n’était pas valable, le renvoi aurait dû être effectué vers le pays de provenance, c’est-à-dire la Somalie, et non l’Égypte», contre-argumente-t-on. Certains analystes, d’Égypte et d’ailleurs, voient dans la décision turque le signe, qui ne trompe pas, qu’Erdogan est en train de lâcher les «Frères musulmans» qu’il s’évertuait à protéger. Lui qui avait même autorisé des chaînes de télévision, telles Watan, Mekameleen et Elsharq, dédiées exclusivement à la propagande «frèriste», semble marquer un virage doublement décisif. Décisif pour l’avenir des relations internationales de la Turquie, notamment avec l’Égypte et ses réserves de gaz naturel fraîchement découvertes et l’Union européenne et son vaste marché. Décisif aussi pour l’avenir politique d’Erdogan ainsi que de son parti l’AKP, tous deux en quête d’une «nouvelle image».

L'Emir du Qatar avec le prêcheur Qaradawi, porte-voix des L'Emir du Qatar avec le prêcheur Qaradawi, porte-voix des "Frères musulmans"

D’Istanbul à Doha, le signal envoyé à travers le refoulement de Mohamed Abdelhafid Houssaine affole. Si les «frèristes» s’activant depuis la Turquie se demandent aujourd’hui à quel «saint» ils pourraient se vouer, s’ils étaient définitivement lâchés par le pays de la Mosquée bleue, les qataris pourraient enfin comprendre les «Frères musulmans» sont désormais une carte perdante.