Par Ahmed Charaï

Le public du Raja de Casablanca entame une chanson qui a fait le tour des chaines étrangères réalisant des dizaines de millions de vues sur internet. Il y est question de l’échec de l’école, des difficultés à vivre dignement. C’est une jeunesse qui exprime ses attentes, mais aussi ses déceptions, de manière pacifique, presque festive, dans l’enceinte d’un stade de football. Nul ne peut rester insensible au sentiment de souffrance que cette action dégage.

La réponse des élites est une véritable catastrophe. Au lieu de jouer leur rôle, de porter un projet pour le pays et de diffuser de l’optimisme; de l’énergie mobilisatrice, les élites font exactement le contraire. Elles créent une ambiance malsaine et s’installent dans une morosité que rien ne justifie.

Les nains politiques ( qui nous servent de classe du même nom, de manière impropre), sont nombrilistes. Leurs soucis se résument aux petits intérêts partisans, qui se confondent souvent avec leurs intérêts personnels et ceux de leur progéniture. Le rôle des partis politiques, tel que le stipule la constitution n’est-il pas justement d’encadrer cette jeunesse, de la canaliser, de lui offrir des perspectives ? Il n’en est rien, hélas, parce que les partis ne s’intéressent pas à la vie des gens.

Les élites économiques ne sont pas en reste dans cette course au désespoir, à la déshérence. Des chefs d’entreprise, souvent rentiers à la base, dans leurs réunions salonnardes diffusent, non pas des critiques objectives, mais des peurs, des angoisses, alors que leurs affaires marchent et que la crise n’existe que dans leur discours. Il n’est pas inutile, et ne serait même pas positif, de pointer les manques. La faillite de l’école, le taux de chômage trop élevé, la corruption en font partie. Mais en même temps, il faut beaucoup de mauvaise foi pour nier les réalisations. En 15 ans le Maroc a réalisé plus d’investissements en infrastructures que durant les 50 ans qui ont précédé. Ceci nous a permis d’accueillir des investissements étrangers de la part de géants américains ou européens, dans des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique. Le pays fournit énormément d’efforts pour rattraper son retard technologique. Un peu d’objectivité permet de diffuser un discours d’espoir et non pas une morosité handicapante.

Nos élites, par leur nombrilisme, se sont séparées du reste des populations et en particulier de la jeunesse. Celle-ci ne peut adhérer qu’à des discours autour d’un projet national exaltant la solidarité et l’altruisme. Ni les hommes politiques, ni les élites économiques, ne sont porteurs d’un tel projet.

Ce divorce est un vrai danger à la fois pour la construction démocratique et pour l’émergence économique. La jeunesse qui chante ses peines, ses angoisses dans les tribunes est l’avenir du Maroc. Nul n’a un bâton magique pour résoudre l’ensemble des problèmes en une semaine.

Mais nous devons retisser les liens avec cette jeunesse, l’écouter d’abord, puis tracer ensemble un chemin vertueux, mobilisateur, comme nos ascendants ont su le faire après l’indépendance, pour construire le Maroc qu’ils nous ont légué.

Les cris de la jeunesse sont d’abord une exigence d’empathie, mais sont aussi un désir d’engagement pour un destin collectif plus harmonieux. Si nous n’y répondons pas, positivement, ils pourraient alors se transformer en désespoir, sachant que celui-ci détruit le contrat social.