Lors du 10e Forum de Marrakech sur le Sécurité (AfricaSEC 2019), organisé les 8 et 9 février, Pouvoirs d'Afrique a rencontré le colonel-major Mady Savadogo, chef du Renseignement militaire de l’Etat-major général des armées du Burkina Faso.

Interview réalisée par Mohamed Koné

Pouvoirs d'Afrique: A quels défis sécuritaires le Burkina Faso fait-il face aujourd'hui?

Mady Savadogo: Au Burkina Faso, comme dans d’autres pays, nous connaissons des défis sécuritaires classiques, mais également des défis sécuritaires dits émergents. Au nombre de ces derniers, on cite la grande criminalité transfrontalière, les conflits intercommunautaires, mais, au-dessus de tout cela, il y a le terrorisme. Vous pouvez également citer les défis naturels, dont les catastrophe naturelles. Mais présentement, le terrorisme constitue notre défi majeur.

Le Colonel-Major Mady Savadgo particpant à une plénière lors du forum AfricaSEC 201ç à Marrakech. crédit: Pouvoirs d'Afrique

Quelles sont les actions menées dans ce sens?

Deux types de mesures sont pris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme: les mesures non-militaires et les mesures militaires. Le premier groupe concerne les investissements, parce que nous savons que la pauvreté contribue beaucoup au développement du terrorisme, et que ce sont surtout les jeunes qui s'enrôlent dans les groupes terroristes. Il faut alors créer de l'emploi, travailler à mettre les populations dans les bonnes conditions de vie pour empêcher qu'elles soient tentées de rejoindre des groupes terroristes. C’est travailler dans le cadre du développement.

En ce qui concerne les mesures militaires, depuis l'éclatement de la crise malienne, nous avions vu venir le danger et nous sommes prémunis en mettant un dispositif sécuritaire à la frontière entre notre deux pays. Et lorsque nous avons enregistré les premières attaques terroristes sur notre territoire, à partir de 2015, nous avons renforcé ce dispositif.

Des gendarmes burkinabés. Crédit: DR

Malheureusement, cette menace étant asymétrique, elle a pu s’étendre vers l’est et vers l’ouest du pays. Nous avons donc décidé de réarticuler notre dispositif pour prendre en compte le maillage de l'ensemble du territoire, tout en étant conscients que nous sommes dans un champ de bataille virtuelle. Ce n’est pas un théâtre physique comme dans le cadre d’une guerre classique. Le terroriste, on ne le voit pas, il n’est nulle part, il est au sein de la population.

Comment évaluez-vous  l'efficacité de ce dispositif sécuritaire à ce jour?

Il nous a permis d'éviter la sanctuarisation de la menace terroriste. Parce que nous n’avons pas une localité où que l'on pourrait décrire comme tenue par les terroristes, et dans laquelle personne ne peut entrer. Nous avons empêché cela, et c'est un acquis.

Cela dit, les terroristes, sous le couvert et la complicité des populations, sont pratiquement invisibles et peuvent frapper où ils veulent, à tout moment. L’armée, qui a été formée pour mener une guerre classique, se trouve ainsi en face d’une menace asymétrique. Alors, nous travaillons à nous adapter à cette nouvelle menace.

Le rôle du renseignement s'avère donc crucial...

Tout à fait. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, le renseignement occupe une place de choix, parce qu'il remplit des fonctions essentielles qui permettent de lutter contre cette menace terroriste. En effet, il faut avoir l'information, connaître les origines et les motivations des groupes terroristes afin de pouvoir mener les actions nécessaires.

Le renseignement est donc vraiment capital, et c’est pour cela que nous avons mis sur pied l'Agence nationale de renseignement (ANR), chose qui n’existait pas par le passé. Cette agence coordonne l’ensemble des renseignement venant de structures publiques telles que la gendarmerie, la police et l’armée, mais elle travaille également à sensibiliser la population afin que le compte-rendu de tout fait suspect soit dans les habitudes. Il faut que la population participe au renseignement.

Le Colonel-major Mady Savadogo. Crédit: DR

Vos services ont-ils permis de mettre en échec des opérations terroristes?

Oui, après l’attaque du 2 mars 2018 contre l’Etat-major général, à Ouagadougou, les informations recueillies par le renseignement ont permis de remonter jusqu'à une cellule terroriste qui était basée dans la capitale même, et qui avait perpétré l’attaque. Nous avons ainsi pu neutralisé ce groupe terroriste. Ce qui est un fruit palpable des actions du renseignement.

Qu'en est-il des nombreux enlèvement perpétrés dans le pays, dont celui récent d'une Québécoise et un Italien?

Effectivement, les enlèvements sont un mode opératoire terroriste. Et il ne concernent pas que des expatriés, mais également des nationaux. Nos services travaillent à empêcher cela et à retrouver les personnes enlevées. Nous attendons les résultats de ces recherches, et avons bon espoir que les personnes enlevées seront retrouvées tôt ou tard.