Dans cet entretien exclusif accordé à L'Observateur du Maroc et d'Afrique, le Président malgache met en exergue les liens forts liant son pays au Maroc en assurant le Royaume de sa solidarité concernant la défense de son intégrité territoriale. Andry Rajoelina partage aussi sa vision de la solidarité interafricaine et des nouvelles perspectives qu’elle pourrait ouvrir.

Entretien réalisé par Mounia Kabiri Kettani 

 

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Monsieur le président, vous avez effectué une visite au Maroc. Pourquoi cette visite est-elle si importante et comment en évaluez-vous les retombées ?

Andry Rajoelina: Madagascar a pour ambition de devenir un pays émergent dans les années à venir. Rattraper un retard de développement de plus d’un demi-siècle n’est pas une mince affaire. Pour guider nos actions, nous avons élaboré une stratégie de développement audacieuse : le Plan Émergence Madagascar (PEM). La diplomatie économique tient une place importante pour la concrétisation de ce plan et fait partie de nos priorités politiques. Ce déplacement était donc important et utile à double titre.

D’abord parce que nous nous sommes réunis à Casablanca, qui est la vitrine de l’essor économique fulgurant que le Maroc a réalisé durant les dernières décennies. Tout succès de chaque pays africain est un succès pour l’Afrique entière. Nous devons sortir des sentiers battus et nous inspirer, prendre exemple et tirer parti du succès de nos frères africains. Les initiatives de partage d’expériences offertes par cette visite symbolisent d’ailleurs la volonté d’aller ensemble de l’avant en valorisant les bonnes pratiques.

Ensuite parce que je crois à une Afrique prospère, et que cette prospérité de l’Afrique devrait être initiée par et pour les Africains. Il est particulièrement enthousiasmant de savoir que tous les leaders réunis à Casablanca – les 600 visages d’un continent en marche – ont en partage leur détermination à prendre toujours plus avant leur destin économique en main, notamment par l’avènement d’une communauté d’affaires panafricaine.

Madagascar est résolument décidé à prendre part à l’essor panafricain et émerger comme un territoire d’opportunités d’affaires à forte croissance et d’investissements.

Comment se portent aujourd’hui les relations économiques entre le Maroc et Madagascar ? Et quelles perspectives de développement ?

Une longue histoire d’amitié lie Madagascar et le Maroc, qui sait pouvoir compter sur notre solidarité, notamment s’agissant de sa légitime revendication territoriale sur le Sahara.

La solidité de cette relation repose sur une coopération multiforme, étendue à plusieurs domaines. Nous avons signé, avec le Maroc, une vaste série d’accords dans plusieurs secteurs. Plusieurs projets d’accords de coopération sont en cours avec le Maroc. Je pense notamment au projet de valorisation et de sauvegarde du Canal des Pangalanes, qui relie Toamasina à Farafangana, auquel nous sommes très attachés avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Au terme des travaux envisagés, le canal pourra permettre la circulation de bateaux au tonnage plus important– 40 tonnes et 40 mètres de long – avec tous les apports et impacts positifs en matière de développement touristique, commercial, industriel et minier.

Nous travaillons également avec le Maroc à la construction de l’Hôpital Mère & Enfants et au Complexe de formation professionnelle dans les secteurs du tourisme, BTP et restauration que nous allons inaugurer prochainement.

Une longue histoire d’amitié lie Madagascar et le Maroc, qui sait pouvoir compter sur notre solidarité, notamment s’agissant de sa légitime revendication territoriale sur le Sahara.

A moyen terme, notre souhait est de travailler en faveur du développement des relations de coopération économique, de l'augmentation des investissements mutuels ainsi que de la maximisation des bénéfices du climat d'investissement attractif dans nos deux pays, via l’impulsion des échanges entre les secteurs privés des deux Etats.

Pour réduire les entraves aux flux commerciaux entre Madagascar et le Maroc, nous avons procédé à la signature d’une convention bilatérale de non-double imposition afin de prévenir l’évasion fiscale. Notre principal leitmotiv est de renforcer les échanges économiques et commerciaux et d’encourager les investissements des entreprises des deux pays.

Quelle évaluation des investissements marocains à Madagascar ?

Les investissements marocains sont particulièrement dynamiques à l’échelle de l’Afrique ;les opérateurs privés marocains étant présents dans plus de trente pays.

C’est aussi vrai à Madagascar, plus particulièrement dans le secteur de l’outsourcing, de la finance et des assurances. Les échanges avec la Confédération Générale des Entreprises du Maroc témoignent d’une volonté d’accroitre les investissements dans les secteurs économiques d’avenir à Madagascar, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’agriculture, de l’industrie pharmaceutique ou encore du tourisme.

Comment renforcer les synergies entre les deux pays ? Et quels secteurs prioritaires ?

Comme je l’ai évoqué plus tôt, nous sommes déterminés à insuffler une nouvelle dynamique à la coopération économique entre les deux pays dans un esprit de partenariat fort, significatif et gagnant-gagnant. Pour cela, il est essentiel de tirer profit de la complémentarité de nos deux Nations pour diversifier et intensifier les relations commerciales.

Outre les instruments juridiques existants et à venir, la multiplication des rencontres d’affaires et des visites de délégations s’avère tout aussi importante. A l’occasion du Choiseul Africa Business Forum, j’ai eu l’occasion de présenter aux investisseurs les perspectives économiques dessinées par le Plan Emergence Madagascar, qui constituent autant d’opportunités pour les investisseurs marocains.

Il est essentiel de tirer profit de la complémentarité de nos deux Nations pour diversifier et intensifier les relations commerciales

Madagascar comprend aujourd’hui 8 millions d’hectares de terres arables : ce n’est donc pas l’espace qui manque, le potentiel de la Grande Ile est vaste, le développement de l’agro-industrie est à portée de main et nous avons des positions déjà fortes dans un certain nombre de produits d’exportation comme le café, la vanille, le girofle, le poivre, le cacao, le chocolat, le sisal...

Nous avons aussi l’ambition d’augmenter la production énergétique afin de garantir aux Malagasy l’accès à l’énergie pour tous et soutenir l’industrialisation du pays. Nous privilégions une stratégie de diversification au travers des énergies renouvelables, notamment les parcs solaires, l’hydroélectrique et le biogaz, et nous allons augmenter le taux d’électrification du pays avec une production hydroélectrique à Madagascar qui atteindra les 652MW supplémentaires en 2027.

Le développement des infrastructures de liaison – les routes, le réseau ferré, les ports et aéroports – est un volet prioritaire de Madagascar, pour rapprocher les populations et accroître la productivité. Notre objectif est de construire entre 6.800 et 10.000 km de route dans les prochaines années. L’axe autoroutier Antananarivo-Toamasina dont nous venons de signer le contrat, est structurant alors que les travaux d’extension du Port de Toamasina multiplieront à terme le trafic portuaire par trois – soit 1 million de conteneurs – et positionneront Madagascar comme un port majeur de l’Afrique de l’Est et un hub maritime de l’Océan Indien, au carrefour commercial entre l’Afrique, l’Asie et le Moyen Orient.

Dans les nouvelles technologies, nous voulons développer encore Madagascar comme une plateforme internationale en matière de traitement de données informatiques et de marketing digital.

Forts de notre potentiel touristique de hotspot de la biodiversité mondiale, nous voulons promouvoir un tourisme durable soucieux des équilibres humains et environnementaux, en faveur duquel nous nous sommes dotés d’un arsenal réglementaire innovant en matière de concessions écotouristiques.

Comment la coopération Sud-Sud pourrait profiter aux deux pays ?

Je suis convaincu que la coopération Sud-Sud représente une réelle opportunité pour accélérer l’émergence d’une Afrique nouvelle, forte et visionnaire. Les pays du Sud ont contribué à plus de la moitié de la croissance mondiale ces dernières années. Il est temps que ces pays prennent conscience de leur plein potentiel et fassent preuve de plus de solidarité dans l’effort de développement.

Nous avons le devoir de construire l’avenir ensemble, main dans la main

Nous croyons fermement que le partage a une place particulière pour la promotion de l’autonomie nationale et collective des pays du Sud. Les compétences, les connaissances, les technologies, les expertises et les ressources sont autant de richesses dont les pays africains disposent et qu’ils peuvent partager pour en décupler les effets.

Nous priver des perspectives ouvertes par la coopération Sud-Sud serait un luxe ! Les porteurs d’initiatives marocains sont les bienvenus à Madagascar et les porteurs d’initiatives malagasy savent être les bienvenues au Maroc.

La réussite d’une coopération Sud-Sud devrait reposer sur une coordination solide, des cadres concrets et des instruments efficaces. Nous soutenons ainsi toute dynamique qui va en ce sens, et spécifiquement, en ce qui concerne Madagascar et le Maroc, souhaitons que les chantiers en cours s’accélèrent et se diversifient.

Crise sanitaire, contexte géopolitique, rupture des chaines d’approvisionnement... Quels enseignements à tirer pour l’Afrique ?

Confronté à ces crises, tous les pays, sans exception, riches ou pauvres ont dû revisiter à marche forcée leur stratégie de développement en renforçant l’autonomisation de chaque pays à travers notamment l’industrialisation.

Nous devons produire et transformer localement tout ce dont la population a besoin car nous disposons d’armes plus puissantes que les bombes, les chars et les missiles. Ce sont nos terres, nos matières premières, nos ressources naturelles et notre peuple.

Nous disposons d’armes plus puissantes que les bombes, les chars et les missiles. Ce sont nos terres, nos matières premières, nos ressources naturelles et notre peuple.

L’Afrique est largement impactée aujourd’hui par les effets de la crise des engrais. Comment, selon vous, l’Afrique pourra réduire sa dépendance aux importations de céréales et d’engrais?

La réponse simple : nous voulons lancer un vaste programme d’amélioration de la productivité de notre secteur agricole pour parvenir à l’autosuffisance et augmenter et diversifier nos exportations ! Nous avons donc besoin d’investissements importants, notamment dans la technologie.

Si les mots ont un sens, j’ai la conviction que notre réponse peut et doit être une réponse africaine. L’Afrique possède 60% de terres arables non exploitées au monde ; elle représente clairement l’avenir de l’humanité. Comme je l’ai souvent répété dernièrement, il est temps que l’Afrique se mobilise pour la génération future.

Quelle est votre vision sur l’avenir de Madagascar et du continent africain ?

L’Afrique est un grand continent, imposant, riche de 85 à 95% des réserves mondiales de chrome et de platine, plus de 50% du cobalt et plus d'un tiers de la bauxite.

Nous pouvons changer l’image de l’Afrique et en faire un continent qui a sa juste place dans le concert des Nations. L’Afrique de demain doit être autonome, indépendante et prospère. Nous avons le devoir de changer l’histoire du continent et écrire une nouvelle page pour chacun de nos pays. Nous disposons de toutes les ressources et l’énergie pour accomplir cela. Mais surtout il est nécessaire de miser sur ce qui nous rassemble, et non ce qui nous éloigne.

L’Afrique de demain doit être autonome, indépendante et prospère.

Pour sa part, Madagascar – la plus grande Ile de l’océan Indien et du continent africain – a des atouts importants car nous avons des ressources en eau pour des barrages hydrauliques, un taux d’ensoleillement très élevé pour des centrales solaires et surtout la puissance du vent pour des parcs éoliens, un énorme potentiel énergétique en faveur de l’industrialisation, gage de l’autonomie.

Madagascar est une nation jeune. La démographie sera pour Madagascar un atout et non un frein au développement. C’est pourquoi nous investissons dans l’éducation et la formation. L’Etat malgache a déjà construit plus d’un millier de salles de classes et a énormément investi dans les outils de matériel pédagogique.

L’éducation est la clé pour l’avenir des jeunes et pour les sortir de la pauvreté : chaque jeune naissant à Madagascar a le droit d’accéder à un meilleur bien-être, de s’épanouir personnellement et de pouvoir accéder à la prospérité rendue possible par le développement économique.